La série présentée ici est extraite d'un travail mené en collaboration avec Michel Peraldi, anthropologue à l'EHESS/CNRS : "Les Temps de Berre. Jalons pour une anthropo-photographie de la catastrophe (1989-2019)". Les photos en noir et blanc ont été faites par Michel Peraldi en 1989. Celles en couleur par Elise Llinares en 2019. 


     "Autour de l’Etang de Berre, du delta du Rhône jusqu’aux premiers contreforts des collines qui ceignent Marseille, entre mer et lagunes, s’est installé depuis les années soixante l’une des plus grandes concentrations d’industries dangereuses du monde européen. Les ports pétroliers de Fos et Lavera y reçoivent la majorité du pétrole consommé en Europe, le stockent et le raffinent sur place, à côté d’autres industries chimiques et métallurgiques. Les usines voisinent avec une agriculture résiduelle, des zones d’habitat très denses autour des vieux centres urbains comme Martigues, Istres, Miramas, des nœuds routiers, autoroutiers, ferroviaires, et enfin le troisième aéroport français, celui de Marseille Marignane.

La brutalité des aménagements a laissé par place des interstices de nature, et cet ensemble disparate forme paysages : espaces lagunaires oubliés entre les usines, friches agricoles, lambeaux d’une occupation balnéaire le long des plages ou de l’étang. Pourtant, il est bien difficile de savoir où l’on est, tant les signaux visuels sont brouillés : ces maisons en ruine promises à la destruction sont-elles les traces d'un village désaffecté ou le centre ville d'une bourgade de 20 000 habitants ? Cette usine vide est-elle abandonnée ou est-elle une centrale à béton hautement technologique ? 

Cette absence de lisibilité nous désoriente et nous empêche de voir le danger, dissimulant ce qui est bien la forme achevée d’un chaos urbain et d’un « état de catastrophe » qui n’est plus anticipé mais installé dans le présent. Et il se pourrait en effet que ce qu’y vivent aujourd’hui les habitants, depuis la pollution intense, l’empoisonnement lent des eaux et de l’air, le chaos des superpositions dangereuses de l’habitat et de l’industrie, l’intensité des circulations, ne soit pas une situation singulière et exceptionnelle mais l’avenir d’une grande partie des zones urbaines du futur."

                                                                                          

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